Syrialeaks: comment mettre le blâme sur Assad

Jeudi 29 août 2013

Par Pino Cabras, Megachip


 

Un titre net et sans équivoque dans le Daily Mail, un quotidien qui tire à 2 millions d’exemplaires, et voit 3 millions de personnes visiter chaque jour son site Internet : « Plan soutenu par les USA pour lancer une attaque à base d’armes chimiques contre la Syrie et en donner la faute au régime d’Assad. » L’article remonte au 29 janvier 2013. L’édition en ligne du Daily Mail a publié cette intéressante histoire – signée Louise Boyle – qui permet d’apporter un éclairage plus juste sur les tragiques attaques au gaz qui se sont produites sept mois plus tard, en août 2013.
De temps en temps, la grande presse rapporte quelque fait important et tout à fait dissonant par rapport au bruit de fond, mais lorsque cela se produit, c’est comme un feu de paille, il est immédiatement éteint. Naturellement, quelques jours après sa publication, l’article avait déjà disparu du site Web du journal, mais heureusement il n’est pas si facile de faire disparaitre l’information d’Internet une fois qu’elle y est apparue. C’est pour cela que nous sommes en mesure de vous reproposer l’article et de souligner ses principaux passages.
L’auteur italien Roberto Quaglia parle de la « Loi des premières 24 heures. À l’époque des mass-médias, les informations réellement importantes parviennent occasionnellement au public, écrites par des journalistes en toute bonne foi durant les premières heures après un événement. Suite à quoi, une chaine de commandement invisible s’active et l’information vraie mais gênante disparait rapidement et pour toujours de l’avant-scène médiatique. Seules les informations commodes – peu importe qu’elles soient vraies ou fausses – restent en circulation. Pour comprendre le monde, il devient donc particulièrement passionnant de s’intéresser précisément aux informations qui sont supprimées. » C’est bien le cas pour l’article de Louise Boyle. Heureusement qu’il y a Webarchive.
Le sous-titre de l’article de Boyle était : « Des emails divulgués provenant d’un fournisseur de la Défense parlent d’armes chimiques et disent que l’’idée est approuvée par Washington’’. »
Le récit commence ainsi : « D’après infowars.com, l’email du 25 décembre a été envoyé par le directeur du secteur de développement des affaires de Britam, un certain David Doughty. On peut y lire : ‘
‘Phil… on a une nouvelle offre. Il s’agit encore de la Syrie. Les Qataris nous proposent une affaire intéressante et je te jure que l’idée a été approuvée par Washington.
Nous devons fournir de l’armement chimique [« CW » dans le texte original, pour Chemical Weapon – NdT] à Homs, un G-Shell d’origine soviétique provenant de la Libye, semblable à ceux qu’Assad doit avoir.
Ils veulent utiliser notre personnel ukrainien qui devra parler russe et faire un enregistrement vidéo.
Franchement, je ne crois pas que ce soit une bonne idée, mais les sommes proposées sont énormes. Qu’en penses-tu ?
Cordialement.
David. » »
Comment interpréter ce message ?
L’article de Boyle se poursuit : « L’email aurait été envoyé par un haut responsable à un fournisseur de la Défense britannique au sujet d’une attaque chimique ‘’approuvée par Washington’’ en Syrie, de façon à faire porter le chapeau à Assad. »
En somme, le casus belli classique déclenché par un acte abject conduit « sous fausse bannière », et qu’on attribue ensuite à l’ennemi. Une chose impensable pour la presse alignée, mais bien présente dans les plus hautes sphères de la planification militaire. Nous avons vu par exemple avec quelle candeur l’un des habitués de ces « hautes sphères », Patrick Lyell Clawson, annonçait la nécessité d’un tel prétexte pour attaquer, dans ce cas-là, l’Iran : « Franchement, je pense qu’il sera très difficile de générer une crise. Et j’ai beaucoup de mal à voir comment le président des États-Unis pourra vraiment nous amener à la guerre contre l’Iran. Cela me fait penser que si nous ne parvenons pas à un compromis, alors la méthode traditionnelle de l’Amérique pour entrer en guerre serait dans le meilleur intérêt des États-Unis. » Autrement dit, avec un casus belli déclenché par une provocation. « Nous jouons actuellement une partie en coulisses avec les Iraniens, mais nous pourrions tout à fait devenir plus méchants, » concluait le faucon de Washington.
Il n’est pas si fréquent de voir le pouvoir se révèler ainsi au grand jour, de manière aussi explicite. À l’époque de Wikileaks et d’Edward Snowden, les révélations passent plutôt par les canaux électroniques et contre la volonté des gouvernements. L’article du Daily Mail précise que « les emails ont été divulgués par un hacker malais qui a également obtenu les Curriculums Vitae des hauts dirigeants et des copies de leurs passeports, d’après les informations disponibles sur Cyber War News. »
Et pour bien faire comprendre à quel point les rebelles syriens alliés des USA et du Qatar peuvent se montrer sans pitié (en plus d’être bien entrainés) dans l’usage des armes chimiques, l’article incluait également une vidéo montrant les effets des armes chimiques sur des lapins. Attention, les images sont assez crues :

Il est pour le moins curieux, pour ne pas dire scandaleux, qu’aujourd’hui les grands médias ne reviennent pas sur cette information du quotidien londonien, afin de l’approfondir. Au lieu de cela, tout est balayé et couvert par le bruit des tambours de la guerre.
Les premières pages en ligne du 28 et 29 août 2013 de tous les quotidiens italiens titrent par exemple que « la Syrie menace de frapper l’Europe avec des armes chimiques », déformant en toute mauvaise foi les propos d’un homme politique syrien qui disait toute autre chose. Le vice- inistre des Affaires étrangères, Faisal Maqdad, critiquait en réalité les pays qui aident les « terroristes » (c’est-à-dire les rebelles djihadistes) à utiliser des armes chimiques en Syrie, mettant en garde sur le fait que ces mêmes groupes ennemis de Damas « les utiliseront bientôt contre le peuple d’Europe ». Traduction : attention Europe, tu es en train de se tirer une balle dans le pied. La phrase correcte est ensuite citée au milieu de l’article. Mais chacun peut voir les gros titres de La Stampa et de La Reppublica (et tous les autres […] font la même chose) :
Menace syrienne : “Les gaz frapperont l’Europe
Assad menace : “Nous utiliserons les gaz
La Stampa attribue même la phrase à Assad (juste pour fabriquer le énième Hitler à éliminer). Assad justement, dans une interview à un journal russe totalement ignorée par la presse italienne [et française – NdT] déclarait il y a deux jours : « A tous ces hommes politiques, je voudrais dire que le terrorisme n’est pas une carte gagnante que l’on peut tirer et utiliser quand on veut avant de la remettre dans la poche comme si de rien n’était. Le terrorisme, comme le scorpion, peut vous frapper par surprise à tout moment. On ne peut pas être pour le terrorisme en Syrie, et contre lui au Mali. »
Il va de soi que les journaux italiens [et français – NdT] donnent une vision de la crise syrienne totalement manipulée et invraisemblable. En Italie [et en France – NdT] il est désormais impensable qu’un journaliste mainstream puisse sortir un article à contre-courant comme celui du Daily Mail.
Pourtant aujourd’hui encore, ce même journal britannique, même si c’était au beau milieu d’omissions et de distorsions, parlait malgré tout de ses soupçons que l’attaque chimique ne soit finalement pas l’oeuvre de ceux que les gouvernements voudraient nous faire croire.
À Londres, les journaux veulent encore vendre quelques exemplaires à ceux qui ne se contentent pas de la propagande. Chez nous, les journaux ne font même pas le minimum syndical pour se faire acheter. Et le lecteur se retrouve en guerre sans même savoir pourquoi.

Pino Cabras – Megachip


MISE À JOUR DU 1er SEPTEMBRE 2013

La journaliste Maria Melania Barone nous signale gentiment que la principale raison pour laquelle le Daily Mail a retiré l’article est la plainte pour diffamation déposée par Britam, le sous-traitant de la Défense mentionné dans l’article de Louise Boyle. L’email en question, à la base de la plainte, aurait été manipulé avant sa divulgation, ce qui a poussé le Daily Mail à rectifier sa position en retirant l’article controversé. Dans tous les cas, il est significatif que les soupçons d’opération « sous fausse bannière » aient atteint la première page du second quotidien britannique depuis déjà plusieurs mois. La déconvenue cinglante de la motion présentée par le Premier ministre David Cameron à la Chambre des Communes pour l’attaque contre la Syrie a été précédée d’un débat parlementaire au cours duquel la véritable pierre d’achoppement était la possibilité que l’attaque au gaz ait constitué un prétexte, une possibilité évoquée chaque fois que les parlementaires faisaient part de leurs doutes sur son véritable auteur. Et il est tout aussi significatif que ces débats, qui ont débouché sur la défaite parlementaire de Cameron, aient été pratiquement ignorés par la presse italienne [et française – NdT].
 Traduit par IlFattoQuotidiano.fr

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